La révision des lois bioéthiques et l’évolution de la conception de la personne humaine
Doctorants référents : Camille LEROY et Jérôme LEBORNE
Le rapport d’information, déposé à l’Assemblée nationale le 15 janvier 2019, sur la révision des lois bioéthiques, conduit à s’interroger sur l’évolution de la conception de la personne humaine face aux progrès techniques, scientifiques et sociaux. Mais au nom d’une amélioration de la condition humaine, ce sont les principes fondamentaux du droit bioéthique et le droit des personnes qui sont remis en cause. Ainsi, l’émergence d’une nouvelle – d’une autre – humanité s’effectue à la fois sur le terrain de la procréation et celui de l’être humain.
La révision des lois bioéthiques et l’évolution de la procréation
Une évolution de la conception de la personne humaine par une évolution de la procréation humaine. En droit positif, l’assistance médicale à la procréation est une technique réservée aux couples hétérosexuels supposés infertiles et en âge de procréer. Par conséquent, l’assistance médicale à la procréation post-mortem est interdite. Quant au don de gamètes, il repose sur les principes de gratuité et d’anonymat. Avec la révision des lois bioéthiques, c’est toute la technique de l’assistance médicale à la procréation qui est remise en question (Jean-René BINET, « Projet de loi relatif à la bioéthique : évolution ou révolution de l’assistance médicale à la procréation ? ») : lever le critère pathologique (l’infertilité), ouvrir l’accès de l’assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes seules, lever l’interdiction de l’AMP post-mortem, permettre aux personnes conçues à partir d’un don de gamètes d’accéder à leurs origines (Maxime LEI, « Procréation médicalement assistée post-mortem et anonymat du don des gamètes : les nuances libérales du Conseil d’État »).
Par conséquent et découlant de ces nouvelles manières de faire un enfant, c’est au nom de l’intérêt de ce dernier, que le droit de la filiation devrait être refondé. Aussi, selon les défendeurs de cette révision, le principe de la filiation doit être renversé : la filiation d’intention doit prendre le pas sur la filiation biologique (Marjorie BRUSORIO-AILLAUD, « La filiation de la mère d’intention en droit positif »). Et dans l’hypothèse où l’accès à l’assistance médicale à la procréation serait étendu aux couples de femmes et aux femmes seules, devrait être créé un mode unique d’établissement de la filiation à l’égard des enfants nés de tous les couples bénéficiaires d’un don de gamètes, que leurs membres soient de même sexe ou de sexe différent, fondé sur une déclaration commune anticipée de filiation (Mélina DOUCHY-OUDOT, « La filiation de la mère d’intention, éléments pour une réforme, étude prospective du droit de la filiation »).
Parmi les techniques de l’assistance médicale à la procréation, celle de la gestation pour autrui demeure fortement rejetée. La gestation pour autrui est interdite sur le fondement de l’indisponibilité du corps humain, et plus précisément sur le principe de non-patrimonialité du corps humain qui interdit de vendre son corps à autrui. La gestation pour autrui est pénalement sanctionnée mais cette répression est relativement ineffective dans la mesure où les faits permettant la réalisation d’une gestation pour autrui, incriminés en droit français, sont commis à l’étranger où la pratique est autorisée (Camille LEROY, « L’ineffectivité de la répression de la gestation pour autrui en droit français »). Surtout, la jurisprudence civile permet désormais la transcription sur l’état civil du père biologique d’un enfant né d’une gestation pour autrui réalisée à l’étranger. En outre, elle accepte l’adoption de l’enfant né d’une GPA réalisée à l’étranger par le conjoint du père biologique. En effet, selon l’avis de la Cour européenne des droits de l’homme du 10 avril 2019, si le droit au respect de la vie privée de l’enfant, au sens de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, oblige le droit interne à offrir une possibilité de reconnaissance d’un lien de filiation entre cet enfant et la mère d’intention, désignée dans l’acte de naissance légalement établi à l’étranger comme étant la « mère légale », l’effectivité de ce droit ne requiert pas que cette reconnaissance se fasse par la transcription sur les registres de l’état civil de l’acte de naissance légalement établi à l’étranger. Aussi, la reconnaissance du lien de filiation de la mère d’intention peut se faire par une autre voie, telle que l’adoption de l’enfant par la mère d’intention, à la condition que les modalités prévues par le droit interne garantissent l’effectivité et la célérité de sa mise en œuvre, conformément à l’intérêt supérieur de l’enfant (Hélène HURPY, « Le protocole n° 16 de la CEDH et l’avis du 10 avril 2016, filiation et droits de l’homme »).
La révision des lois bioéthiques et l’évolution de l’être humain
Une évolution de la conception de la personne humaine par une évolution de l’être humain. Parmi les éléments fondamentaux permettant d’identifier une personne, il y a son sexe. Néanmoins, il arrive que des personnes naissent intersexuées. Selon le droit positif, il peut y avoir opération dès la naissance, en cas de nécessité médicale et recueil du consentement des parents, afin de tendre vers l’un ou l’autre sexe. Cependant, depuis quelques années sont désormais critiquées les conditions « hâtives », « esthétiques » et « subjectives » de ces opérations et sont soulignées les souffrances psychologiques graves de l’enfant de lui avoir assigné un sexe sans son consentement. L’enfant devrait donc avoir son mot à dire ; son consentement explicite, libre et éclairé, devrait être recueilli avant l’opération. À travers ces questions, c’est plus largement celle du changement de sexe, et partant, de la détermination du sexe qui est soulevée. De là à dire que c’est « le droit au genre », il n’y a qu’un pas (Mélanie JAOUL, « Sexe et genre : une identité en question, un régime en évolution »).
En droit, l’être humain acquiert la personnalité juridique s’il naît vivant et viable. Par conséquent, l’embryon et le fœtus ne sont pas des personnes juridiques. Toutefois, au nom du respect de la vie humaine et en tant que potentielle vie humaine, l’embryon et le fœtus ne sont pas de simples choses et bénéficient d’un régime de protection. Cela étant, on remarque, dès les premières lois bioéthiques de 1994, une inversion des principes : on est passé de l’interdiction de la recherche sauf exception à un régime d’autorisation limité par des interdits fondamentaux. Par ailleurs, le droit pénal demeure assez indifférent à la valeur individuelle de l’embryon et du fœtus. Il apparait que la protection des intérêts de l’embryon et du fœtus n’est que relative, les intérêts de l’embryon et du fœtus sont mis en confrontation avec les intérêts économiques, scientifiques et sociaux qui tendent à réifier le vivant (Jérôme LEBORNE, « L’embryon et le fœtus, entre personne et chose, entre science et droit : des protections d’intérêts »). Les expériences sur les embryons rejoignent celles sur le génome humain et les tests génétiques. Le dépistage des maladies, le séquençage du génome, la technique du CRISPR CAS9 … sont autant de techniques qui, à terme, permettent de fabriquer une nouvelle personne humaine (Jacques LEROY, « La modification du génome et le statut de la personne humaine »). Couplé à la machine, c’est l’homme-machine qui serait, selon certains prophètes, l’avenir de l’homme (Philippe PEDROT, « Des biotechnologies au transhumanisme : “l’homme artifice“ »).
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Salle FA.001
Jeudi 17 octobre 2019
14H00 Allocution d’ouverture
Sarah FARHI, Directrice adjointe du CERC, Maître de Conférences, Université de Toulon, CERC
14h10 Propos introductifs
Pascal OUDOT, Directeur du CERC, Maître de Conférences HDR, Université de Toulon, CERC
PREMIÈRE PARTIE : LA RÉVISION DES LOIS BIOÉTHIQUES ET L’ÉVOLUTION DE LA PROCRÉATION
Sous la présidence de Jacques LEROY, Professeur émérite,
Doyen honoraire de la Faculté de Droit, D’économie et de Gestion, Université d’Orléans.
14H30 Projet de loi relatif à la bioéthique : évolution ou révolution de l’assistance médicale à la procréation ?
Jean-René BINET, Professeur, Directeur de l’école doctorale de droit et de science politique de l’Université Bretagne-Loire, Université Rennes 1
14h50 Procréation médicalement assistée post-mortem et anonymat du don des gamètes : les nuances libérales du Conseil d’État
Maxime LEI, Enseignant-chercheur contractuel, Université de Bretagne-Sud, Lab-Lex
15H10 Discussion
15h30 Pause
15h50 La filiation de la mère d’intention en droit positif
Marjorie BRUSORIO-AILLAUD, Vice-Doyen de la Faculté de Droit de Toulon, Maître de Conférences, l’Université de Toulon, CERC
16h10 La filiation de la mère d’intention, éléments pour une réforme
Mélina DOUCHY-OUDOT, Professeure, Avocat – Selarl Prudens-Juris, Université de Toulon, CDPC UMR-CNRS 7318 DICE
16h30 Le protocole n°16 de la CEDH et l’avis du 10 avril 2016, filiation et droits de l’Homme
Hélène HURPY, Maître de conférences, membre associée de l’Institut de Droit Européen des Droits de l’Homme (IDEDH), Université de Toulon, CERC
16h50 La gestation pour autrui en droit pénal français
Camille LEROY, Doctorante, Université de Toulon, CERC
17H10 Discussion
17h30 Fin de la session
Vendredi 18 octobre 2019
DEUXIÈME PARTIE : LA RÉVISION DES LOIS BIOÉTHIQUES ET L’ÉVOLUTION DE L’ÊTRE HUMAIN
Sous la présidence de Pascal RICHARD, Maître de conférences, Université de Toulon, CERC
09H00 Allocution d’ouverture
09H10 Sexe et Genre : une identité en question, un régime en évolution
Mélanie JAOUL, Maîtresse de conférences, Université de Montpellier, Laboratoire de Droit Privé
09H30 L’embryon et le fœtus, entre personne et chose, entre science et droit : des protections d’intérêts
Jérôme LEBORNE, Doctorant, Assistant de justice au Parquet du Tribunal de Grande Instance de Toulon, Université de Toulon, CERC
09H50 La modification du génome et le statut de la personne humaine
Jacques LEROY, Professeur émérite, Doyen honoraire de la faculté de droit, d’économie et de gestion, Université d’Orléans
10H10 : Discussion
10h30 : Pause
10H50 Des biotechnologies au transhumanisme : « l’homme artifice »
Philippe PÉDROT, Professeur, Université de Toulon, CERC
11H10 Discussion
11h30 Propos conclusifs
Jean-Pierre MARGUÉNAUD, Professeur agrégé, Chercheur à l’Institut de Droit Européen des Droits de l’Homme, Université de Montpellier, IDEDH
12h00 Fin des travaux